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Pike ne quitta pas Darko du regard une seule seconde pendant qu’il retraversait le parking en slalomant entre les véhicules. Focalisé sur sa cible, il n’avait d’yeux pour rien ni personne d’autre.

Il s’installa au volant de sa Jeep, baissa le pare-soleil et mit le moteur en marche. Aucun des trois hommes ne regarda en direction de l’énorme parking qui occupait l’autre côté du boulevard. Ils n’auraient rien vu de toute façon. La Jeep de Pike n’était qu’un arbre au milieu d’une forêt de plusieurs centaines de véhicules.

À l’aide de sa paire de jumelles, Pike vérifia de nouveau que le balèze était bien Darko. Il le trouva moins gras que sur la photo de Walsh – plus affûté, comme s’il avait fait de la musculation. Sa moustache avait disparu et ses cheveux étaient plus courts, mais ses yeux globuleux et ses favoris effilés restaient reconnaissables entre tous. Dans le viseur de Pike, Darko alluma une cigarette qu’il se mit presque aussitôt à agiter avec colère en faisant nerveusement les cent pas devant les deux autres.

Pike se demanda si Darko avait parlé à Grebner et s’il était sur le point de changer de repaire. Si oui, il allait devoir agir vite. Il observa les trois hommes et estima la distance qui le séparait d’eux à cent quarante mètres. À cent mètres, une balle de 357 descendait d’environ neuf centimètres par rapport à son axe de tir. À cent quarante, d’environ vingt centimètres. Pike aurait pu cibler la partie centrale de leur corps, mais il n’avait pas l’intention de tirer. Il voulait savoir où était l’enfant de Rina, et connaître la vérité sur Frank. Darko détenait la réponse à ces deux questions, et Pike était sûr de pouvoir le faire parler.

Darko jeta sa cigarette et réintégra à grands pas le bâtiment en tôle. Les deux autres le suivirent. Pike quitta le parking de la grande surface tel un client lambda, roula sur deux blocs puis rebroussa chemin jusqu’au garde-meuble, dont le terrain était séparé de la ferraille par un mur en parpaings de deux mètres cinquante.

Les clients du garde-meuble devaient franchir en voiture un portail de sécurité commandé par une carte magnétique. Au-delà de ce portail, des box s’alignaient contre le mur en parpaings comme les plateaux de tournage d’un studio de cinéma. Certains étaient longs et bas, vraisemblablement destinés à accueillir des voitures ou des bateaux, mais le plus grand, tout au fond de la propriété, était une construction en dur sur trois niveaux.

Pike fixa les étuis du Python 357 et du Kimber à sa ceinture, ôta son sweat-shirt et enfila un gilet pare-balles. Il laissa sa Jeep le long du trottoir, escalada le portail, puis remonta au trot le long des box adossés au mur mitoyen. Deux hommes d’un certain âge occupés à décharger une camionnette à plateau s’interrompirent pour le regarder passer, mais Pike les ignora. Il serait de l’autre côté du mur avant qu’ils aient pu signaler sa présence.

Une fois passé le bâtiment en tôle de la ferraille, Pike se hissa sur le toit d’un box et jeta un coup d’œil au-dessus du mur. Des amas de pièces détachées étaient disposés dans le fond du terrain telles les cases d’un échiquier, reliés entre eux par un lacis d’étroits passages – il y avait là des ailes, des toits, des capots, des coffres ; des châssis, des arbres à cames, des piles de roues vertigineuses. D’énormes bobines de câbles reposaient parmi de touffes de mauvaises herbes sèches, surgies pendant les dernières pluies et mortes juste après.

Pike ne vit ni gardes ni employés, et se déplaça le long du mur jusqu’à bénéficier d’un meilleur point de vue sur le bâtiment. La façade arrière comportait une porte simple et plusieurs fenêtres à battants, mais celles-ci n’étaient pas accessibles de l’extérieur ; quant à la porte, elle était recouverte d’une telle couche de poussière et de toiles d’araignée qu’il y avait de fortes chances qu’elle soit inutilisable. Après s’être choisi un itinéraire entre les tas de ferraille susceptibles de lui offrir une vue aussi dégagée que possible sur le flanc opposé du bâtiment, Pike sauta par-dessus le mur. Il dégaina son Python, slaloma entre les pièces automobiles et atteignit son nouveau poste d’observation.

Pike voyait maintenant le bureau jaune, une partie du parking gravillonné, la chaîne tendue en travers de l’allée d’accès, et la longue paroi latérale du bâtiment en tôle. Il y avait une série de fenêtres à l’étage, ce qui suggérait l’existence de plusieurs pièces. À proximité de l’angle arrière, une porte de garage basculante était ouverte sur un vaste atelier mécanique où se côtoyaient un pont de levage, toutes sortes d’outils et une batterie de poubelles. Sans doute l’endroit où les carcasses de voitures et de camions étaient désossées. Un homme assis dans un transat sur le seuil lisait le journal, avec deux fins cordons reliant ses oreilles à un iPod. Un fusil à pompe noir était appuyé contre le mur à côté de lui.

Pike passa plié en deux derrière un tas d’ailes criblées de hautes herbes mortes. Quand l’atelier revint dans son champ de vision, l’homme du transat était debout et parlait à un deuxième individu, qui se tenait sur le pas d’une porte située un peu plus loin. L’homme du transat ramassa son fusil à pompe et rejoignit son compagnon. Tous deux disparurent à l’intérieur.

Pike approcha rapidement du bâtiment. Il se plaqua contre le mur juste à côté de la porte de garage, jeta un coup d’œil dans l’atelier et constata qu’il était désert. Darko se trouvait soit dans une des pièces sur lesquelles donnait la porte suivante, soit à l’étage, mais Pike n’avait pas nécessairement besoin de lui. Il se serait occupé de l’homme au transat si celui-ci était resté à sa place, puis il serait passé au suivant. Un proche de Darko pouvait suffire si celui-ci était capable de lui donner les informations nécessaires.

Pike venait de franchir le seuil de l’atelier quand il entendit le petit pleurer. Un sanglot syncopé comme seuls en produisaient les bébés, surgi quelque part dans le bâtiment et résonnant de pièce en pièce. Pike crut d’abord que ce sanglot avait transpercé la porte ou les cloisons, puis il comprit qu’il provenait d’une des fenêtres de l’étage.

Il revit son plan d’action. L’objectif consistait à atteindre Darko, mais le petit était là-haut. En train de pleurer.

Pike prit sa décision.

Un escalier d’angle métallique reliait le fond de l’atelier à l’étage. Il monta.

Règle N°1
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